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0.4. L’imposture de Platon

0.4.1. Le philosophe qui aurait voulu être roi

[…] le créateur d’images, l’imitateur, disons-nous, n’entend rien à la réalité, il ne connaît que l’apparence, n’est-ce pas? – Oui

(...) Or, n’a-t-on pas découvert dans la mesure, le calcul et la pesée d’excellents préservatifs contre ces illusions, de telle sorte que ce qui prévaut en nous ce n’est pas l’apparence (…) mais bien le jugement de ce qui a compté, mesuré, pesé. (Platon 1995(1966), livre X, 601b-c et 602d-e)

Qui oserait douter de la vérité de « 1+1=2 »? Oseriez-vous douter des vérités du calcul arithmétique? Pour Platon, la vérité des mathématiques ne fait aucun doute. Les mathématiques sont d’ailleurs pour lui des étapes nécessaires à la connaissance de la vérité suprême. L’absence totale de doute à propos de la vérité mathématique lui donne une pleine autorité parmi les autres types de connaissance. Et c’est pourquoi Platon croit que les philosophes sont les plus aptes à éduquer leurs concitoyens en vue d’instaurer l’organisation de la cité la plus efficace au monde.

Qui s’oppose à Platon? Tous ceux qui ne reconnaissent pas l’autorité des mathématiques. Déjà à l’époque de Platon, la liste devait être longue, puisqu’elle n’exclut que les quelques amis de Platon qui fréquentent son école…

Tout ce qui crée l’illusion, une image déformée de la réalité, est contraire à la vérité. Tout ce qui crée l’illusion doit être écartée, tous ceux qui créent l’illusion doivent être condamnés. Chez Platon, la glorification de la vérité est telle qu’elle le pousse à condamner tous les poètes, tous les acteurs, tous les peintres, tous ceux qui font des discours ou des représentations qui ne respectent pas les vertus parfaites de la vérité.

– Voilà donc, ce semble, deux points sur lesquels nous sommes bien d’accord : tout d’abord l’imitateur n’a aucune connaissance valable de ce qu’il imite, et l’imitation n’est qu’une espèce de jeu d’enfant, dénué de sérieux; ensuite, ceux qui s’appliquent à la poésie […] sont des imitateurs au suprême degré. [...]

Nous pouvons à bon droit le censurer et le regarder comme le pendant du peintre; il lui ressemble en ce qu’il ne produit que des ouvrages sans valeur, au point de vue de la vérité. [...] Et cependant, nous n’avons pas encore accusé la poésie du plus grand de ses méfaits. Qu’elle soit en effet capable de corrompre les honnêtes gens, à l’exception d’un petit nombre, voilà sans doute ce qui est tout à fait redoutable. (Platon 1995(1966), livre X, 602b-c et 604d-605d)

Quand le Socrate de Platon accuse la poésie, il cible tous les arts qui font appel à la parole, au discours. Il accuse ces discours qui utilisent des images, des analogies et des métaphores, d’induire en erreur les foules qui les entendent. Ces discours qui utilisent des moyens douteux de rhétorique, qui font pleurer ou rire le public, déforment la vérité. Ces discours cherchent à imiter la vérité, mais sans se soucier du réalisme. Ils trahissent la vérité, ils sont tout le contraire du discours mathématique. Par conséquence, ils doivent être dévalorisés, exclus de la cité parfaite.

Mais peut-on croire que Platon était si aveuglé par son idéal de vérité qu’il ne voyait pas qu’il se contredisait continuellement? C’est une évidence que ses livres regorgent d’analogies et de métaphores, d’images et d’allégories. Platon emploie à répétition les mêmes moyens rhétoriques que ses ennemis les imitateurs. – Mais voyons! L’aurait-on oublié?! Platon détient la vérité mathématique, il détient par conséquent une autorité incorruptible. Si Platon doit mentir pour le bien de la vérité et de la cité, il n’aura aucun remord à le faire. Si Platon emploie les moyens rhétoriques de ses ennemis, c’est pour le bien de la vérité.

Mais nous aussi devons faire grand cas de la vérité. Car si nous avions raison tout à l’heure, si réellement le mensonge est (…) utile aux hommes sous forme de remèdes, il est évident que l’emploi d’un tel remède doit être réservé aux médecins, et que les profanes n’y doivent point toucher.
Et s’il appartient à d’autres de mentir, c’est aux chefs de la cité, pour tromper, dans l’intérêt de la cité, les ennemis ou les citoyens; à toute autre personne le mensonge est interdit, et nous affirmerons que le particulier qui ment aux chefs commet une faute de même nature, mais plus grande, que le malade qui ne dit pas la vérité au médecin, (…) ou que le matelot qui trompe le pilote sur l’état du vaisseau et de l’équipage (Platon 1995(1966), livre X, 389b-d)

Je crois que le temps est venu de cesser toute complaisance à l’égard de Platon. Le visage glorieux du philosophe vertueux par excellence n’est qu’un masque trompeur. Platon est un manipulateur de foule et un menteur. Platon est un formidable imposteur, car il trompe au nom de la vérité.

Qu’est-ce qui différencie Platon des poètes? Platon est un mégalomane, alors que les poètes sont de simples amuseurs publics. Platon aurait voulu être roi d’une cité parfaite. Puis il a compris qu’il valait mieux éduquer ceux qui allaient détenir le pouvoir. Il se garantissait ainsi un accès illimité au pouvoir sur ses concitoyens. Platon rêvait de devenir le plus grand manipulateur de foule. Il comptait charmer l’élite, celle qui détenait le pouvoir sur la foule, en créant une illusion d’une autorité fondée sur la vérité mathématique.

Platon est un menteur parce qu’il fait lui-même ce qu’il dénonce. Il condamne l’imitation, mais pourtant ses textes regorgent d’analogies. Ses livres, ses paroles mêmes contredisent ce qu’il enseigne. Platon ne peut se passer de charmer son public par des métaphores de toutes sortes. Il est comme les poètes, il crée des discours qui imitent. Car chez Platon, tout n’est finalement qu’imitation des prétendues vertus de la vérité.

Platon crée l’illusion de la vérité mathématique, il ment et il le sait. Il est l’imposteur de la vérité mathématique. Il abuse de la confiance de ses amis, de la crédulité des élites en faisant le serment de la vertu de la vérité. Mais ce serment n’est pas désintéressé. Platon promet le pouvoir à ceux qui le suivront, et en retour Platon reçoit l’assurance d’un accès illimité au pouvoir. Il reçoit l’assurance d’imposer sa vérité. Platon n’était aucunement dupe sur ce que les philosophes mathématiciens pouvaient espérer s’ils réussissaient à convaincre le monde de leur vérité. C’est ainsi que Platon a donné naissance aux scientifiques et aux philosophes analytiques.

0.4.2. L’erreur de condamner l’analogie

Non seulement il y a imposture, mais la condamnation des arts imitatifs est complètement erronée. Plus encore, elle est nocive à la connaissance même des mathématiques. Les philosophes analytiques d’aujourd’hui sont incapables de bien comprendre toute la nature analogique de la pensée, et en particulier la pensée mathématique. Ils se trompent car ils cherchent à exclure systématiquement les explications qui utilisent des métaphores qui ne sont pas mathématisables.

Pourtant, les mathématiques ne seraient rien sans la capacité du cerveau humain de faire des analogies et sans la capacité du langage d’exprimer des métaphores. La capacité de penser par analogie précède toute pensée mathématique. Pour donner un exemple très simple, imaginez compter une pomme plus une pomme. 1+1=2. Mais il a bien fallu voir les ressemblances entre les deux choses pour pouvoir les appeler toutes deux « pommes ». Il a bien fallu reconnaître qu’une chose était une imitation suffisante d’une autre chose pour pouvoir les considérer comme identiques. Il a bien fallu faire une analogie entre les deux pommes pour pouvoir les additionner. Et que penser de la formidable métaphore qui nous fait passer de « une pomme plus une pomme donnent deux pommes » à « 1+1=2 ». Ce n’est qu’après avoir posé l’analogie que la pensée peut faire des opérations mathématiques (ici, l’addition et l’égalité).

La capacité de faire des analogies précède toute pensée mathématique. Ainsi, l’analogie n’est pas contrainte par les mathématiques. Elle n’a pas à s’en tenir aux contraintes de la vérité, de la logique, de la mesure et du calcul.

[La fausse condamnation des arts de l’imitation par Platon a fait son chemin dans la tradition philosophique jusqu’à se faire sentir au cœur de la philosophie de l’esprit. Elle a entraîné les philosophes de l’esprit sur le chemin illusoire du réalisme. Les mathématiques continuent de tromper ceux qui tentent de donner une description réaliste ou une explication de ce qui existe vraiment.]

 

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